CHAPITRE DIX

 

 

La lumière commençait juste à baisser, indiquant la proximité de vêpres, et Cadfael n’était pas à son atelier depuis plus d’une demi-heure que, comme à son habitude quand les affaires du comté l’amenaient à s’entretenir avec l’abbé Radulphe. Hugh vint le trouver dans son repaire. Il traînait après lui un souffle d’air froid, humide, et le frisson du vent qui se levait risquait fort d’apporter une nouvelle chute de neige maintenant qu’il ne gelait plus à pierre fendre. Peut-être se contenterait-il de dissiper la lourde couverture de nuages et de dégager le ciel pour le lendemain.

Hugh s’assit sur son banc familier, près du mur, tout content de pouvoir se chauffer les pieds au brasero.

— Je viens de chez le père abbé. Il paraît que vous enterrez le curé demain. Cynric lui a creusé une tombe profonde... comme s’il avait peur qu’il s’en échappe sans six bons pieds de terre pour l’obliger à se tenir tranquille. Toujours est-il qu’il sera enseveli sans avoir été vengé, car on n’a pas avancé d’un pouce dans notre enquête. Vous m’avez prévenu dès le début que la Première Enceinte serait sourde, aveugle et muette. On pourrait croire que toute la paroisse s’est trouvée dépeuplée la veille de Noël : personne n’admet être sorti de chez lui sauf pour courir à l’église, et nul n’a vu quiconque rôder dans les rues cette fameuse nuit. Il a fallu que ce soit un étranger qui nous glisse un mot d’allées et venues pas catholiques à une heure impossible ; je ne parierais pas ma chemise là-dessus. Et vous, vous progressez ?

Cadfael se posait la même question depuis le moment où il était sorti de chez Diota, et il ne voyait guère comment cacher à Hugh ce qu’il avait découvert. Il avait promis d’être discret, non de se taire, et il ne devait pas moins aide et assistance à Hugh qu’à la malheureuse prise au piège de son propre dévouement.

Il écarta le plateau de pastilles qu’il venait tout juste de mettre à sécher et alla s’asseoir près de son ami, avec sa tête des mauvais jours.

— Oui, j’ai avancé, dit-il. Plus peut-être que je ne le mérite. Si ce n’était pas vous qui étiez venu à moi. Hugh, c’est moi qui serais allé à vous. La nuit dernière on m’a aidé à me rappeler ce que j’avais vu en possession d’Ailnoth cette nuit-là et qu’on n’avait ni retrouvé ni pensé à rechercher le lendemain, quand on a rapporté ici son cadavre. Deux choses en fait, bien que je n’aie pas trouvé la première moi-même ; ce sont des gosses qui me l’ont donnée ; ils s’étaient rendus à l’étang pleins d’espoir le matin de Noël, comptant bien qu’il serait gelé. Attendez une minute, je vous les apporte toutes les deux et je vous raconte.

Il s’exécuta et rapprocha le lumignon pour examiner le détail qui signifiait peut-être tant... ou si peu.

— Cette calotte, les enfants l’ont repérée parmi les roseaux des hauts fonds. Vous voyez, les points se défont à la couture et le galon a été plus ou moins arraché. Et ce bâton je l’ai découvert ce matin, pratiquement en face de l’endroit où l’on a trouvé Ailnoth.

Il lui narra toute l’histoire simplement, sans rien cacher, sauf le rôle joué par Ninian, aveu auquel il devrait peut-être se résoudre ultérieurement.

— Vous remarquerez que la bague d’argent est si vieille qu’elle est mince comme une hostie, et donc craquelée sur les bords. Dans cette encoche, là, ajouta-t-il montrant du doigt les pointes métalliques, tranchantes comme un rasoir, voilà ce que j’ai déniché.

Il avait fait glisser une minuscule boule de graisse dans une soucoupe d’argile lui servant à choisir des graines et y avait englué les cheveux que le froid avait ainsi immobilisés ; comme ça ils ne risquaient pas d’être emportés par un courant d’air. A la lueur jaune de la lampe il était très facile de les distinguer. Cadfael en dégagea un qu’il dévida complètement.

— Un cheveu volant au vent pourrait se coincer dans un cercle d’argent en pareil état pratiquement n’importe où, suggéra Hugh, sans trop de conviction.

— Admettons, mais il y en a cinq qui tous proviennent du même endroit. Ce qui est une tout autre histoire, non ?

Hugh toucha du doigt les filaments brillants et déclara sans hésiter qu’ils appartenaient à une femme qui n’avait plus vingt ans.

— Que vous soyez déjà au courant ou non, il n’y a que deux femmes en jeu dans cet embrouillamini ; l’une est jeune et, s’il plaît à Dieu, ce n’est pas demain la veille qu’elle aura des cheveux gris.

— Vous ne pensez pas que l’heure des cachotteries est passée ? suggéra Hugh, le regardant avec un léger sourire malin. Si moi je suis arrivé après la bataille, vous, vous êtes là depuis le début, et j’ai une autre affaire sur le dos qui ne m’a pas aidé à avoir les idées claires sur la première. Je ne tiens pas spécialement à empêcher le petit Bachiler de filer discrètement à Gloucester et combattre pour son impératrice, à condition qu’il n’ait sur la conscience aucun acte qui soit de mon ressort. Car ce que j’aimerais, c’est en finir avec le meurtre d’Ailnoth. Il faut que, quand on l’enterrera demain, on ait réglé cette histoire. Je tiens à ce que la ville et la Première Enceinte puissent reprendre leurs activités l’esprit tranquille, que la voie soit libre pour un nouveau curé, en priant le Seigneur qu’il se montre plus facile à vivre. Pour en revenir à nos moutons, ces cheveux proviennent de la tête de dame Diota Hammet. La lumière n’était pas excellente quand je l’ai vue et je ne sais pas si la couleur correspond, mais même à l’intérieur l’ecchymose qu’elle avait au front était bien visible. Il paraîtrait qu’elle est tombée sur une marche gelée, en tout cas c’est sa version. Mais d’après vous, ça ne s’est pas du tout passé comme ça.

— Non, ça lui est arrivé au moulin, la nuit en question. Désespérée, elle a suivi le prêtre pour le supplier de ne pas provoquer de drame et de ne pas se formaliser de l’attitude du garçon, au lieu de se prendre pour l’ange de la vengeance et d’envoyer vos sergents à ses trousses pour le jeter en prison. Elle a été la nourrice de Ninian et serait capable de tout pour l’aider. Elle s’est accrochée à la soutane d’Ailnoth et l’a prié de se montrer tolérant. Comme il ne pouvait pas se débarrasser d’elle, il s’est servi de son bâton et l’a frappée à la tête et il aurait recommencé si elle ne l’avait pas lâché ; elle s’est relevée à moitié assommée et a couru se réfugier chez elle.

Il lui raconta les choses exactement dans les mêmes termes que Diota ; Hugh l’écouta attentivement, le visage grave, mais un petit sourire flottait dans ses yeux pensifs.

— Vous la croyez, conclut-il.

Il ne s’agissait pas d’une question, mais d’un fait corroborant ses propres impressions.

— Oui. Sans aucun doute.

— Elle n’a rien d’autre à ajouter, susceptible de nous mener à un tiers ? Si elle le pouvait, irait-elle jusque-là ? se demanda Hugh. Elle partage peut-être les sentiments des paroissiens, et préfère tout garder pour elle.

— Possible, je ne vous contredirai pas. N’empêche qu’il me semble qu’elle ne m’a rien caché. Elle l’a quitté tout étourdie, terrorisée. Non, je pense que c’est tout ce qu’il y a à tirer d’elle.

— De votre Benoît rien à tirer non plus ? avança Hugh, faussement innocent, et il rit en voyant Cadfael, momentanément réduit au silence, le regarder soudain de travers.

— Je plaisantais, reprit-il, je veux bien admettre que ce n’est pas vous qui lui avez mis la puce à l’oreille, lui permettant de prendre la clé des champs quand Giffard lui a lancé les argousins sur le dos. Mais uniquement parce qu’un troisième larron vous avait évité de vous donner cette peine. Vous saviez très bien qu’il avait fichu le camp quand vous nous avez obligeamment conduits au jardin alors qu’on était sur ses traces. Je suis même prêt à accepter que vous l’aviez effectivement vu moins d’une demi-heure avant. Vous avez le chic pour raconter simplement la vérité, qui est tout ce qu’on veut sauf simple. Et depuis quand avez-vous sous la main un jeune homme qui est dans les ennuis jusqu’au cou sans vous introduire dans ses confidences ? J’oserais même affirmer que vous savez où il se cache en ce moment même. Mais je ne vous demande rien ! s’empressa-t-il d’ajouter.

— Ah ça, je vous jure que je l’ignore, s’exclama Cadfael, très heureux de la façon dont les choses étaient formulées. Alors, même si vous me posez la question, je suis dans l’incapacité de vous répondre.

— Vous avez dû vous en donner du mal pour ne rien apprendre... ou pour pousser l’intéressé à se taire, acquiesça Hugh, avec un sourire en coin. Je vous avais suggéré de le tenir à l’écart si par hasard vous le rencontriez. Je ne refuserai pas de fermer les yeux moi-même une fois qu’on aura éclairci notre autre problème.

— Voilà un point où il est d’accord avec vous, admit Cadfael en toute candeur, car avant qu’on ait trouvé une solution à tout cela et que dame Diota soit hors de danger, il ne bougera pas d’ici. Ce n’est que justice si on pense aux risques qu’elle a courus pour lui. Mais quand tout sera terminé, il s’en ira et quittera votre territoire. Et pas seul ! ajouta Cadfael, soutenant d’un visage complaisant le regard railleur de Hugh. Serait-il possible que je connaisse un détail que vous ignoreriez ?

Hugh plissa le front et se pencha sur cette énigme tout à loisir.

— Ce n’est pas Giffard, aucun doute là-dessus ! Attendez, il y a deux femmes dans cette affaire dont l’une est jeune... Est-ce que par hasard notre jeune aventurier se serait déniché une épouse dans nos murs ? Déjà ? Eh bien, il faut reconnaître qu’ils ne perdent pas de temps, ces sacrés Angevins ! Voyons un peu...

Il se mit à réfléchir, tapotant pensivement du doigt le bord de la soucoupe d’argile.

— Il s’est fourré dans un monastère, où en général les femmes ne sont pas légion ; et m’est avis que vous ne l’avez pas laissé chômer, ce qui ne lui laissait guère de temps pour aller jouer les jolis cœurs parmi nos concitoyennes. Pour autant que je sache, il n’a approché aucun de nos nobliaux locaux. Il ne me reste donc que la maison Giffard où le message de notre homme était peut-être un secret de polichinelle ; il y a là une jeune femme très séduisante qui, de par son père, est du côté de l’impératrice et suffisamment décidée pour ne pas voir les choses sous le même angle que son beau-père. Supposons que la curiosité pure et simple l’ait amenée à aller regarder d’un peu plus près ce preux chevalier qui a passé la mer au péril de sa liberté et de sa vie ? Sans blague, il compte sérieusement partir avec Sanan Bernières ?

— Exactement. Mais d’après moi, c’est elle qui a pris la décision. Ils ont caché des chevaux pour pouvoir filer et elle emporte ses biens, les bijoux qui lui viennent de sa mère, qu’il est facile de transporter. Je suis persuadé qu’elle lui a également fourni des armes. Jamais elle ne le laissera paraître aux yeux de l’impératrice ou de Robert de Gloucester habillé n’importe comment ou à pied et sans épée.

— C’est vraiment ça qu’ils veulent ? s’étonna Hugh, avec un léger doute sur la meilleure façon de se comporter en pareil cas.

— Oui, vous pouvez me croire. Tous les deux. Je ne suis pas sûr que cela empêchera Giffard de dormir. Il s’est plutôt bien comporté envers la petite. En somme, ça lui évitera de la doter. Il a déjà perdu une partie de ses biens et doit songer aux intérêts de son fils.

— Et elle, qu’a-t-elle à y gagner ?

— D’agir à sa guise, de faire ce qu’elle veut et d’avoir l’homme qu’elle s’est choisi. Elle a Ninian. D’après moi, ça n’est pas une si mauvaise affaire.

Hugh resta silencieux, à méditer quelque temps, pesant le pour et le contre avant de décider s’il interviendrait ou pas dans cette fuite. Peut-être se souvenait-il du mal qu’il s’était donné pour conquérir Aline, il n’y avait pas si longtemps[7]. Au bout d’un moment, son front se détendit, un éclair de malice s’alluma discrètement dans ses yeux noirs et gagna les coins de sa bouche. Il finit par lancer à Cadfael un regard éloquent.

— Il ne me serait pas plus difficile de mettre le holà à tout ça que de traverser la cour et m’arranger pour que ce garçon sorte de sa tanière et me tombe dans les bras, si je voulais. Vous m’avez montré comment y arriver sans effort. Il me suffirait d’arrêter dame Hammet ou simplement d’en répandre la nouvelle, et il se précipiterait à son secours. Si je l’accusais du meurtre, je parie qu’il irait jusqu’à se déclarer coupable alors qu’il est innocent, afin qu’elle soit libérée et qu’elle ait la paix.

— Il y a du vrai là-dedans, reconnut Cadfael, sans beaucoup s’inquiéter, mais ça m’étonnerait de vous. Vous savez aussi bien que moi que ni lui ni dame Diota n’ont jamais porté la main sur le père Ailnoth, et je ne vous vois pas agir autrement qu’en fonction de cette conviction.

— Je pourrais aussi user du même tour, histoire de pêcher un autre poisson et de voir si celui qui a, lui, noyé le père Ailnoth se montrera aussi loyal et chevaleresque que votre protégé, poursuivit Hugh, avec un discret sourire. Car j’ai appris aujourd’hui un petit quelque chose dont vous n’avez pas encore entendu parler concernant un des paroissiens d’Ailnoth à qui cela ferait grand bien si on lui flanquait une frousse salutaire. Oui sait, il y a plein de gens que cela ne gênerait pas trop de commettre un meurtre, mais qui n’accepteront jamais sans broncher de voir quelqu’un d’autre payer à leur place. Ça vaudrait le coup d’essayer pour prendre un assassin, et même si ça échoue, l’appât ne s’en portera pas beaucoup plus mal !

— Je ne me comporterais pas ainsi envers un chien ! s’écria Cadfael.

— Moi non plus, les chiens sont honnêtes, ils se battent sans se cacher et ne sont pas rancuniers. Quand ils sortent pour tuer, ils n’attendent pas la nuit et se moquent éperdument du nombre de témoins présents. Pour certains hommes, j’ai moins de scrupules. Oh ! celui-là n’est pas si mauvais, mais avoir peur une bonne fois ne lui nuira pas et ça rendra peut-être service à sa malheureuse épouse qui en voit de toutes les couleurs avec lui.

— Je ne vous suis pas.

— Alors je vais ralentir l’allure ! Ce matin, Alan Herbard m’a ramené un homme qu’il avait rencontré par hasard, un parent d’Erwald, originaire de la campagne ; il était venu passer Noël ici sur la Première Enceinte avec le prévôt et sa famille. Cet homme est berger de profession, et Erwald avait deux brebis qui allaient avoir des agneaux. Il les gardait dans une petite cahute sur la Gaye. L’une d’elles menaçait de mettre bas prématurément. Son cousin berger s’est donc rendu à la cabane après matines et laudes le matin de Noël pour jeter un coup d’œil et veiller à ce qu’il n’arrive rien à l’agneau en danger. Il revenait juste après avoir quitté la Gaye et remontait la Première Enceinte aux premières lueurs de l’aube, et qui a-t-il vu se faufiler en direction de chez lui, sortant en catimini du chemin menant au moulin ? Jordan Achard, tout chiffonné, l’œil chassieux, à peine réveillé et qui ne s’attendait pas à croiser quelqu’un à pareille heure. Coup de chance, c’était l’une des rares personnes que notre homme connaissait de nom et de vue du fait qu’il était allé chez le boulanger, pas plus tard que la veille, chercher du pain pour Erwald. Notre paysan était au courant de la réputation de Jordan et il a trouvé que c’était assez amusant de le croiser au moment où il sortait d’un lit qui n’était pas le sien.

— Le long de ce sentier ? murmura Cadfael, le regard fixe.

— Celui-là même. Il y en a eu du passage cette nuit-là, apparemment.

— Ninian a été le premier. Je n’ai pas eu l’occasion de vous en parler, mais il était sur place de bonne heure, car il n’était pas sûr de Giffard. Il s’est sauvé en vitesse quand il a vu Ailnoth se présenter, furieux, au lieu de rendez-vous, et il n’a appris ce qui s’est passé que le lendemain matin quand Diota, affolée, nous a annoncé que le curé avait disparu. Elle était là, vous le savez déjà. Mais il devait aussi y avoir un troisième larron. Et Jordan dans tout ça ? Qui rentrait chez lui aux petites heures, qui plus est ? J’ai quand même du mal à croire qu’il était assez rancunier pour lui garder un chien de sa chienne si longtemps. Il a beau être excellent boulanger, j’aurais juré que c’était un grand gosse trop gâté.

— Oui, moi aussi. Mais il était sur place, aucun doute là-dessus. Qui pourrait traîner dehors le jour de Noël, juste avant l’aube, à l’exception d’un berger qui s’inquiétait pour une brebis pas très en forme ? Jordan a vraiment joué de malchance. Mais ça ne s’arrête pas là, Cadfael. Je suis allé causer avec sa femme alors qu’il était à ses fourneaux. Je l’ai mise au courant de ce qu’on savait des déplacements de son époux et je lui ai laissé entendre qu’on avait des preuves indiscutables sur la question. Il m’a semblé qu’elle allait craquer comme une branche trop chargée de fruits. Savez-vous combien d’enfants elle a eus, la malheureuse ? Onze, dont deux seulement sont en vie. Comment a-t-il pu en engendrer un tel nombre, compte tenu du peu de temps qu’il passe chez lui, seul l’ange qui tient le registre pourrait le dire. Elle serait plutôt mignonne si elle n’avait pas l’air si fatigué ni si ravagé. Le plus beau, c’est qu’elle tient toujours à lui.

— Cette fois elle s’est décidée à parler franchement ? s’étonna Cadfael.

— Bien sûr, elle avait peur de lui et à juste titre. Oui, elle s’est décidée. En effet, il a passé toute la nuit dehors, ce qui n’est pas une nouveauté. Mais de là à tuer quelqu’un ! Elle a bien insisté sur ce point, il ne ferait pas de mal à une mouche. Ce qu’elle a enduré à cause de lui est largement suffisant. D’après elle, la seule chose qui l’intéressait c’était de se glisser dans le lit de sa dernière conquête, en l’occurrence la petite garce qui sert de domestique à la vieille voisine du meunier, près de l’étang.

Cette précision éclaira la lanterne de Cadfael. Il se rappela la jeune fille, une nouvelle hypothèse le fascina.

— Voilà qui me paraît nettement plus vraisemblable. Ça sonne juste ! On a parlé avec elle le lendemain matin, quand on cherchait Ailnoth.

Une jolie drôlesse d’environ dix-huit ans, avec une tignasse noire et qui ne doit pas avoir froid aux yeux. Elle nous a déclaré qu’elle n’avait vu âme qui vive la nuit en question, et que personne n’avait de raison de traîner dans le secteur. Ce qui n’était même pas un mensonge. Il ne lui serait jamais venu à l’idée de compter son amant clandestin parmi les visiteurs du soir se rendant secrètement au moulin. Elle connaissait le but de sa visite qui, à défaut d’être innocente, était parfaitement naturelle et inoffensive. Chacun voit midi à sa porte.

— Oui, elle n’a jamais soufflé mot de Jordan ! Ce qui finalement se conçoit assez bien. Lui, elle savait ce qu’il manigançait et ce n’est pas après lui qu’on en avait. Mais non, je n’en veux pas à cette fille. Je parierais simplement gros qu’elle n’a aucune notion du temps, qu’elle ignore complètement à quelle heure il est arrivé et parti, sauf que le jour commençait à poindre. Il aurait très bien pu tuer un homme avant de venir frapper en douce à la porte de la vieille dame pour réveiller discrètement l’élue de son cœur.

— Je n’y crois guère, objecta Cadfael.

— Moi non plus. Mais ce serait du gâteau de l’envoyer au banc des accusés ! Sa femme a reconnu qu’il était là-bas. Le berger l’a vu sortir. Nous n’ignorons pas que le père Ailnoth a suivi le même chemin. Après que dame Hammet eut réussi à s’enfuir, il attendait toujours sa proie. Supposons un instant qu’il ait aperçu un de ses paroissiens, avec qui il entretenait des relations tendues et dont il connaissait peut-être fort bien la réputation, demander en grand secret qu’on le laissa entrer dans une maison qui n’était pas la sienne et que ce soit une jeune femme qui lui ouvre la porte ? A votre avis ? Il en avait du flair pour déceler les péchés ! On peut admettre que l’idée de tomber à bras raccourcis sur un pécheur en flagrant délit l’ait détourné de son intention première. La vieille est sourde comme un pot. Quant à la fille, si elle était aux premières loges et qu’elle a vu comment tout a tourné, elle avait intérêt à tenir sa langue et à mettre au point une histoire qui se tienne. Si c’est le cas, Cadfael, mon vieil ami, le curé a peut-être levé un lièvre un peu trop dangereux ; il a eu le dessous et s’est retrouvé dans l’étang.

— Le coup porté à Ailnoth l’a été par-derrière, argua Cadfael, ébranlé. Quand deux hommes se battent, ils sont face à face.

— Exact, mais l’un peut pivoter sans le vouloir et tourner le dos un instant. Cependant, vous savez où se situe la blessure, et moi aussi. Mais nous ne sommes pas légion à être dans le secret des dieux.

— Et c’est comme ça que vous allez opérer, souffla Cadfael, un peu incrédule.

— Et sans me cacher, mon ami, je vous le garantis. Demain matin, à l’enterrement d’Ailnoth, même ceux qui le haïssaient seront là pour s’assurer qu’ils peuvent dormir sur les deux oreilles. Je n’aurai pas deux fois une pareille occasion. Si ça marche, on aura satisfaction et la ville pourra retrouver sa tranquillité ; sinon Jordan ne s’en portera pas plus mal d’avoir eu la frousse un moment et l’occasion de passer quelques nuits dans un lit plus dur qu’il n’en a l’habitude. Seul, par-dessus le marché. Ça l’aidera peut-être à comprendre qu’on n’est jamais plus en sécurité que chez soi, ajouta Hugh, les yeux brillants de malice.

— Supposons que personne ne se manifeste pour le disculper, avança Cadfael avec un peu d’ironie, que les choses se soient bien passées comme vous le suggériez il y a un instant et que Jordan soit votre homme ? S’il ne perd pas la tête, qu’il nie tout en bloc et que la fille témoigne en sa faveur, vous allez vous retrouver le bec dans l’eau.

Hugh ne se laissa pas démonter.

— Allons donc, vous le connaissez mieux que ça. Il est costaud, fort en gueule, mais il n’a pas grand-chose dans le ventre. Si c’est bien lui, il aura beau nier tant qu’il voudra, après deux nuits en prison, il se mettra à table en essayant de déguiser son geste en légitime défense : c’était un malheureux accident, il n’a pas réussi à repêcher le curé, il a pris peur et n’a pas osé avouer puisque tout le monde savait qu’il ne portait pas Ailnoth dans son cœur. Un ou deux jours en cellule, ça lui servira de leçon. S’il réussit à tenir sans s’effondrer pendant ce laps de temps, il mérite de s’en sortir. C’est ainsi que la paroisse verra les choses.

— Vous avez l’esprit tortueux, murmura Cadfael, balançant entre la réprobation et l’admiration. Je me demande comment j’arrive à vous supporter.

Près de la porte, Hugh se retourna pour lui adresser par-dessus son épaule un regard rapide.

— Qui se ressemble s’assemble, si j’ose dire !

Et il s’éloigna à grands pas sur les cailloux de l’allée avant de disparaître dans les ombres du soir.

 

A vêpres, les psaumes prirent une solennité pénitentielle et lors des collations, dans la salle capitulaire, les lectures s’imprégnèrent de teintes funèbres. L’ombre du père Ailnoth planait sur la mort de l’année ; il semblait que l’an de grâce 1142 naîtrait non pas à minuit, mais seulement après la fin des rites funéraires, quand la tombe serait refermée. Le lendemain aurait beau, selon le calendrier de l’Eglise, être l’octave de la Nativité et commémorer la circoncision de Notre Seigneur, pour les gens de la Première Enceinte, il n’en serait pas moins l’office propitiatoire qui les libérerait de leur cauchemar. Quelle triste fin pour quiconque, à plus forte raison pour un prêtre.

— Demain, déclara le prieur avant de renvoyer les moines au chauffoir pour leur demi-heure de détente si appréciée avant complies, l’enterrement du père Ailnoth suivra immédiatement la messe paroissiale et je présiderai en personne. Mais le père abbé a exprimé le désir de prononcer l’homélie lui-même.

La voix incisive et bien posée de Robert conféra à cette déclaration une insistance assez ambiguë ; considérait-il la décision de l’abbé comme une attitude de respect envers le défunt, ou regrettait-il – terme peut-être insuffisant – d’être privé de l’occasion d’exercer sa propre éloquence que tous connaissaient ? Toujours est-il qu’il conclut que laudes et matines se dérouleraient selon les rites de l’office des morts.

En d’autres termes, cela prendrait du temps, et les religieux prévoyants seraient bien inspirés d’aller directement se coucher après complies. Cadfael avait déjà couvert le brasero de terre pour qu’il brûle lentement pendant la nuit tout en évitant que lotions et médicaments ne gèlent et que les bouteilles n’éclatent, si la température baissait aux petites heures. Mais l’air ne semblait décidément pas assez froid pour cela, et il pensait qu’avec ce léger vent et ce ciel couvert sans excès la nuit avait des chances de ne pas poser problème. Il se dirigea vers le chauffoir avec les autres, plein de reconnaissance, et se prépara à passer une demi-heure d’agréable farniente.

C’était le moment où les taciturnes se laissent aller à parler et même le prieur considérait sans froncer le nez cet innocent bavardage. Comme il fallait s’y attendre, ce soir-là, le bref passage du père Ailnoth, sa mort solitaire et la cérémonie de la journée du lendemain furent au cœur des conversations.

— Ainsi le père abbé a l’intention de prononcer le panégyrique lui-même, glissa frère Anselme à l’oreille de Cadfael. Voilà qui ne devrait pas manquer d’intérêt.

Anselme était responsable de la musique pour l’office divin ; si sa façon de considérer la parole n’était pas tout à fait la même que chez les autres, il n’en appréciait pas moins son pouvoir et son influence.

— J’aurais cru qu’il aurait été trop content de se décharger sur Robert.

— Nilnisi bonum[8]... A moins qu’il ne considère que ce soit la pénitence qui convient pour avoir introduit le loup dans la bergerie ? D’après toi ?

— Il y a sûrement du vrai là-dedans, reconnut Cadfael. Mais il tient aussi à être juste, et rien que ça. Robert aurait eu tendance à emboucher les trompettes de la renommée. Radulphe s’attachera à être clair et véridique.

— Ça ne va pas être facile. Enfin, personne ne s’attend à ce que, moi, je me lance dans un discours. On ignore toujours qui lui succédera à la paroisse. Tous vont prier pour que le choix tombe sur quelqu’un qu’ils connaissent, qu’il soit frotté de latin ou non. S’il est d’ici, il sera bien accueilli, même si on ne l’apprécie pas trop. On s’arrange toujours avec le diable quand il a un visage familier.

— Il n’y a pas de mal à espérer mieux que cela, soupira Cadfael. Un homme très ordinaire, qui vole nettement plus bas que les anges, très conscient de ses propres faiblesses, conviendrait parfaitement à la Première Enceinte. Dommage qu’on ait perdu ces quelques semaines à l’attendre.

Dans la grande cheminée de pierre, les bûches brûlaient bien, commençant à former à présent un noyau de braises rouges ; tout avait été savamment calculé pour qu’elles durent toute la soirée et qu’elles finissent de se consumer à peu près quand retentirait l’appel de complies. Les visages malmenés par la température et le travail en plein air reprenaient une couleur rose et se rassérénaient ; on était tout content de sentir que les crevasses qu’on avait aux mains devenaient moins douloureuses grâce à la pommade de Cadfael. Les amis se réunissaient par petits groupes exclusifs et leurs murmures se mêlaient comme il convient, évoquant un essaim d’abeilles. Parmi les plus solides des jeunes, qui avaient passé dehors la plus grande partie de la journée, certains avaient bien du mal à garder les yeux ouverts dans cette chaleur. L’office de complies serait bref ce soir ; sage précaution car celui de matines serait long et sinistre.

— Une nouvelle année demain et un nouveau commencement, murmura frère Edmond, l’infirmier.

Habitude ? Conviction ? D’aucuns répondirent « Amen ! » mais Cadfael s’accrocha à ce mot qui convient mieux pour une fin, une résolution, une acceptation apaisée, et cependant on n’était à la veille de rien de semblable.

 

Un mille à l’ouest du lit que Cadfael occupait dans sa cellule étroite au dortoir, Ninian était étendu sur une épaisse couche de foin dans un grenier qui n’en manquait pas, enveloppé dans le manteau que Sanan lui avait apporté, encore réchauffé et réconforté de l’avoir tenue dans ses bras plus de deux heures auparavant. Elle devait en effet rentrer à temps pour mettre son cheval à l’écurie de la ville avant que son beau-père ne revienne de l’office du soir de l’église Saint-Chad. Ninian avait beaucoup insisté pour qu’elle ne s’aventure pas seule la nuit, mais pour le moment il n’avait aucune autorité sur elle et elle agirait comme bon lui semblerait, étant apparemment venue au monde sans connaître la peur. Cette grange et cette soupente appartenaient aux Giffard qui avaient droit de pâture le long de la prairie non clôturée avec sa bordure d’arbres, mais le vieux valet de ferme qui s’occupait des bêtes était de la maison de Sanan et il aurait été au feu pour elle. Les deux bons chevaux qu’elle avait amenés et cachés ici le comblaient de joie, et jusqu’au jour de sa mort il serait heureux et fier que Sanan l’ait mis dans la confidence de ses projets de mariage.

Elle était venue et s’était étendue près de Ninian là-haut ; ils s’étaient couverts du même manteau, serrés dans les bras l’un de l’autre, non pas encore pour jouir de leurs corps mais plutôt pour se réchauffer et se réconforter. Béats comme des loirs plongés en pleine hibernation, mais assez éveillés pour éprouver un plaisir profond, ils avaient parlé pendant près d’une heure. Maintenant qu’elle l’avait quitté, il suffisait au garçon de se rappeler ce moment pour que le bonheur qu’il avait connu lui dure jusqu’au matin. Un jour, ou une nuit, bientôt s’il plaisait à Dieu, elle n’aurait plus besoin de se lever ni de partir, et lui n’aurait plus à ouvrir les bras à contrecœur pour la laisser s’en aller. Ce serait une nuit parfaite, merveilleuse, étoilée, à l’obscurité traversée de flammes. En attendant, maintenant, il était couché seul, le cœur un peu gros ; il s’inquiétait pour elle, pour le lendemain, pour ses propres dettes qu’il ne voyait pas très bien comment régler.

Ses cheveux libres lui caressant la joue, son souffle tiède lui effleurant la gorge, elle lui avait raconté tout ce qui s’était passé pendant ces quelques jours précédant la nouvelle année : comment Cadfael avait découvert le bâton d’ébène, sa visite à Diota et les confidences un peu forcées de cette dernière. Les bras autour du cou de Ninian, elle l’avait serré contre elle, affirmant qu’il n’avait aucune raison de se faire du souci car elle avait promis d’accompagner Diota à la messe d’enterrement du curé, de veiller sur elle aussi attentivement que lui et d’affronter aussi vaillamment toute menace susceptible de la concerner. Elle lui avait intimé l’ordre de ne pas bouger et de rester caché jusqu’à son retour. Mais si Sanan était une dame à qui il valait mieux ne pas désobéir sans raison valable, il n’était pas du genre à se laisser commander en courbant l’échine.

Malgré tout elle lui avait arraché la promesse, à force d’insistance, de l’attendre, à moins que ne se produise un événement inattendu exigeant impérativement d’agir. Il lui avait fallu se contenter de ça. Là-dessus ils s’étaient embrassés et ils avaient laissé de côté les soucis du moment pour parler de leur avenir à mi-voix. A quelle distance étaient-ils de la frontière galloise ? Dix milles ? Sûrement pas plus. Powys avait beau n’être pas un pays de tout repos, on n’y cherchait noise ni aux partisans de l’impératrice, ni à ceux du roi Etienne. En général on prenait d’instinct parti pour les fuyards et on n’y aidait guère les représentants de la loi venus d’Angleterre. De plus Sanan avait dans la région des parents éloignés grâce à une grand-mère galloise qui lui avait légué un prénom qui n’avait rien d’anglais. S’ils rencontraient des soldats de fortune dans la forêt, Ninian n’était pas manchot ; une bonne épée et un long poignard étaient cachés dans le foin, armes que John Bernières avait jadis portées au siège de Shrewsbury, où il avait trouvé la mort. Leur voyage se passerait très bien. En arrivant à Gloucester ils se marieraient au vu et au su de tous.

Tout cela était bel et bon, mais ils ne pouvaient pas partir avant de s’assurer que Diota était hors de danger et se trouvait sous la protection de l’abbé. Et maintenant qu’il était allongé seul, Ninian était incapable de fixer un terme à ses difficultés. Au matin, le corps d’Ailnoth reposerait en paix, mais l’ombre sinistre de sa mort planerait toujours. Même si la journée se passait sans menace contre Diota, cela ne résoudrait rien pour les jours à venir.

Ninian ne put s’endormir avant minuit passé, se débattant en vain contre les problèmes qui le tenaient captif. A la ligne de partage des eaux séparant l’ancienne et la nouvelle année, il glissa enfin dans un sommeil agité. Il rêvait qu’il se frayait péniblement un chemin à travers une forêt interminable, encombrée de ronces et d’épines, s’efforçant sans succès de rejoindre Sanan, qui n’avait laissé derrière elle, à son intention, qu’un doux parfum d’herbes aromatiques.

 

Sous la vaste coque renversée du chœur, faiblement éclairée pour matines, les échos des paroles de l’office des défunts résonnaient sans arrêt, éveillant des échos qui n’existaient pas pendant la journée. La belle voix sonore de frère Benedict, le sacristain, prenait du volume et remplissait toute la voûte tandis qu’il lisait les leçons entre la récitation des psaumes, et à la fin de chacun revenaient incessamment le versant suivant et son répons :

 

Requiem aeternam doua eis, Domine...

Et lux perpétua luceat eis...

 

Et frère Benedict, d’une voix profonde et splendide, reprit :

— Mon âme est dégoûtée de la vie... Je parlerai dans l’amertume de mon âme. Je dis à Dieu : Ne me condamne pas ! Fais-moi savoir pourquoi tu me prends à partie[9] !

Le Livre de Job n’est pas spécialement rassurant, songea Cadfael, mais toute cette beauté, cette poésie n’étaient-elles pas une sorte de réconfort après tout, transformant tout ce dont Job se plaignait, le mal être, l’humiliation, la mort, en un défi magnifique ?

— Oh ! si tu voulais me cacher dans le séjour des morts. M’y tenir à couvert jusqu’à ce que ta colère fût passée[10]...

» Mon souffle se perd. Mes jours s’éteignent. Le sépulcre m’attend[11]...

» C’est dans les ténèbres que je dresserai ma couche ; Je crie à la fosse ; Tu es mon père !

Et aux vers : Vous êtes ma mère... Mon espérance, où donc est-elle[12] ?

» Qu’il me laisse, qu’il se retire de moi, et que je me repose un peu. Avant que je m’en aille, pour ne plus revenir, Dans le pays des ténèbres et de l’ombre de la mort... Où (...) règne la confusion, Et où la lumière est semblable aux ténèbres[13].

Dans cette supplication, toutefois, quelque chose d’apaisant s’élevait de nouveau, comme si on s’avançait pas à pas au-delà de l’espoir vers une certitude.

Accorde-nous le repos éternel, ô Dieu... Et que la lumière brille sur eux...

Trébuchant un peu dans l’escalier de matines, à moitié endormi, Cadfael avait encore dans l’esprit cet appel incessant qui, au moment où il s’endormait, exauçait presque tout désir. Repos éternel, lumière perpétuelle... même pour Ailnoth.

« Non seulement pour Ailnoth, mais pour la plupart d’entre nous, songea Cadfael, le voyage à travers le purgatoire sera long, mais même le chemin le plus tortueux touche un jour à sa fin. »

Les Ailes du corbeau
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